Démarré en juillet 2016, le magazine entièrement dédié à l’esport n’aura pas résisté longtemps face à la crise structurelle de la presse écrite. C’est d’ailleurs avec déception que les abonnés ont reçu le tout dernier exemplaire de la série avec une lettre d’explications sur les raisons de cet échec. Rencontre avec le directeur de publication, Florent Gorges.
Quel est le point commun entre « La ruée des clubs sportifs », « La guerre du stream aura-t-elle lieu? » et « Battlefield et l’esport »? Il s’agit tout simplement de trois des quinze derniers sujets abordés par le journal de l’esport. En effet, le numéro quatre de la série sera le dernier que les fans pourront lire. Pourtant tout partait d’une idée aussi alléchante qu’audacieuse. Au travers de l’actualité et des articles parus, personne ne peut désormais nier le monde du sport interactif, sa réussite, sa rentabilité et son avenir prometteur. De ce constat démarrait l’ambitieux projet, chapeauté par la maison d’édition Omaké books, d’un magazine papier bimensuel entièrement dédié à l’esport. Alors pourquoi, avec cet univers en perpétuelle évolution, le projet n’a-t-il pas réussi? Analyse et explications avec Florent Gorges, directeur de publication.
Le constat de départ était que personne en kiosque n’était présent sur ce marché. Nous savions que ce serait un risque, mais nous pensions qu’il y avait peut-être la place pour un acteur sur le sujet, entame-t-il. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Les annonceurs se désintéressent désormais du papier et pour les sociétés qui ont tout de même un budget pour la publicité, tout était déjà bouclé et réservé des mois à l’avance. Sans revenu publicitaire, nous nous sommes donc rapidement retrouvés le bec dans l’eau. » Pourtant le sujet semblait intéresser les joueurs avec près de 400 abonnés, ce qui n’est pas mal du tout, mais pas suffisant. « Lors de la Paris Games Week, beaucoup de jeunes nous ont découverts avec plaisir, mais lorsqu’ils nous demandaient où trouver nos magazines ils semblaient à peine connaître l’existence des kiosques. Il y avait donc un véritable décalage de génération avec le format.
Le format! Voilà l’inévitable question. Même s’il reste des amateurs de presse écrite adeptes de la lecture sur format papier, il semble légitime de se demander si une version électronique n’aurait pas été plus adéquate? Nul besoin de vous rappeler que leur public cible privilégie l’information en ligne, souvent plus facile d’accès. Alors pourquoi ne pas avoir opté pour un site internet en complément du journal ou en intégralité?
Cela n’aurait rien changé car personne ne veut payer sur le net. Nous aurions pu en effet publier nos articles pour 50 centimes sur un site, mais cela n’aurait jamais été suffisant pour payer les salaires. L’arrivée du web a littéralement changé notre manière de consommer dans plusieurs secteurs, dont celui la presse. Et malheureusement, le phénomène de gratuité est beaucoup trop ancré sur la toile. Personne ne veut payer pour du contenu et les internautes voudraient également supprimer les publicités. Le seul problème c’est qu’un investissement pareil et le travail en amont que cela demande, ce n’est pas gratuit. C’est un business model impossible à gérer pour le moment. C’est tout un système qui est en train de s’écrouler et personne n’a encore trouvé de solution. » En effet, si les coûts de production auraient été moindres avec une parution en ligne, rien ne semble prouver que les options payantes en ligne, notamment testées par les grands groupes de presse, soient une réussite.
En optant uniquement pour le modèle traditionnel, la rédaction se condamnait à tenter de survivre dans le monde de la presse écrite et la crise économique qui la traverse depuis des années. C’est d’ailleurs l’explication avancée dans le courrier qui accompagnait le dernier numéro en ce début d’année 2017.
Il faut se rendre à l’évidence: les annonceurs publicitaires n’ont malheureusement jamais été suffisamment nombreux pour couvrir l’ensemble des frais d’impression, de publication et de diffusion. Les ventes ne nous permettent malheureusement plus de continuer cette belle aventure.
Une explication qui vient corroborer les points abordés ci-dessus. Vient alors une autre question: celle de la densité. Le journal de l’esport proposait près d’une centaine de pages au prix honorable de 5,99€, soit un véritable petit livre à financer tous les deux mois. N’aurait-il pas fallu penser à un concept plus léger et plus concentré nécessitant peut-être moins de moyens?
Quand un magazine se lance, il prend de toute manière un risque. Se lancer au mensuel aurait réduit notre durée de visibilité à un mois dans les rayons et passer au trimestriel ou semestriel n’aurait rien changé à la donne. Nous aurions peut-être gagné 1 000 lecteurs, mais la marge entre ce que nous recevions et celle qu’il fallait atteindre pour survivre était trop grande. Même si nous avions décidé de faire moins de pages, le travail de préparation et de production serait resté conséquent et nous aurions également dû réduire le prix de vente. Encore une fois, nous y aurions peut-être gagné, mais certainement pas assez pour rentrer dans nos frais, regrette-t-il. En lançant le premier numéro, nous avions besoin de 8 000 ventes. Nous en avons eu dans les 6 000, soit 15 à 20% de moins. Ensuite, une fois que l’effet de nouveauté s’est estompé, nous sommes passés à 3 000 numéros vendus à partir du numéro trois. Et tout ça pour une production de 17 000 exemplaires. C’était non seulement un gros gâchis de papier, mais aussi un signal qui nous obligeait à arrêter les frais.
Car même si l’équipe du journal de l’esport n’était formée que de pigistes, les ventes ne permettaient pas de payer le travail fourni. « Et tout travail mérite salaire! »
Peut-être aussi, le monde de l’esport, aussi imposant soit-il désormais, n’était-il pas encore économiquement prêt et attractif pour pareil projet journalistique? Oui, les jeux et les compétitions sont nombreux et l’avenir s’annonce riche en progrès et en rebondissements. Mais peut-être était-il encore un peu trop petit, pas encore assez riche en angles d’attaque et avec un public de niche souvent peu initié et intéressé par la lecture sur papier?
En tout cas, sous ce format, c’est clair que pour nous l’aventure est terminée. Mais pourquoi pas l’envisager sous forme de livre? Il s’agit d’un système économique différent et moins risqué pour exister. Mais pour le moment les caisses sont vidées (sic). Nous verrons donc à l’avenir.
Analyses poussées, interviews exclusives, présence aux grands événements et exclusivités en tout genre. Les sujets rédigés proposaient un riche et savoureux éventail d’informations qui auraient certainement mérité plus que sept mois d’existence. Si les pages souffraient parfois tout de même de quelques maladies de jeunesse (sensation de répétition des sujets, fautes d’orthographe ou tournures de phrase tantôt trop simplistes, tantôt trop alambiquées), le projet méritait très clairement de grandir et de s’améliorer sous la baguette de Florent Chastel, le rédacteur en chef, qui réalisait, avec son équipe, un travail de qualité.
Nous sommes vraiment peinés du résultat et désolés pour ceux qui nous suivaient
C’est la fin du journal pour Florent Gorges, la mort dans l’âme, mais résolument tourné vers l’avenir. Car Omaké Books continue et continuera à publier de très bons contenus, comme le magazine « The Game », qui sera livré aux abonnés auxquels il restait quelques numéros à recevoir.
D’ici là, un seul mot nous vient à l’esprit: Merci! Et au plaisir de vous relire!